Le 4 Avril 2023

C’est ce matin que je me suis rappelé que Martin Luther King Jr avait été assassiné un 4 avril 1968. Hier lorsque je suis arrivé à la rencontre de célébration de la Journée des droits des réfugiés organisée par Action Réfugiés Montréal, j’étais impressionné que cela se passe dans une ancienne église! Je devais prendre la parole au cours de cet événement et je n’ai pas manqué de me dire: « Eh ben Lovejoyce, tu prends la parole dans les églises comme Martin Luther King toi maintenant? ». Vous le savez maintenant, la modestie c’est souvent un luxe!

Si j’avais su plus tôt, c’est clair que je l’aurais cité! C’est le premier leader noir dont j’ai lu la biographie avec beaucoup d’émotion et d’intérêt, j’avais 14 ans. Je n’ai pas la prétention d’être Martin Luther King oh la la… Mais j’adore la coincidence 4 avril et discours dans une église! Mon grand-père maternel voulait à ma naissance que je devienne pasteur , eh bien Papy on n’est pas loin… on n’est pas loin! Bref chers lecteurs, voici l’intégralité de mon discours du 4 avril 2023.


Montréal, le 4 avril 2023

Chers invités et chers participants,

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d’abord remercier toute l’équipe d’Action Réfugiés Montréal, pour l’opportunité qui m’est donnée de prendre la parole, à l’occasion de la Journée des droits des réfugiés. Je me sens très honoré de pouvoir m’exprimer ce soir sur l’importance de garantir les droits des réfugiés au Canada. Cela me confirme la gravité de la mission dont je me suis investi en publiant mon histoire d’immigration par le Chemin Roxham, dans mon livre intitulé : « Je n’ai pas choisi de partir ».

Merci beaucoup !

Alors, Mesdames et Messieurs,

Nous sommes en 2023, et il faut encore sensibiliser des pouvoirs publics, d’états « démocratiques », sur l’importance de garantir les droits de personnes réfugiées.

À croire que tout ce qu’on refuse de changer profite à un système. Pourtant, l’Organisation internationale des Migrations (OIM) estime à 281 millions le nombre de migrants dans le monde en 2020. Ces migrants traversent plusieurs périls pour trouver un asile, un refuge. Et même quand ils l’ont trouvé ce refuge, il leur faut encore lutter pour que leurs droits soient garantis.

Lorsque je quittais mon pays le Togo en avril 2017, je fuyais l’intolérance, la discrimination pour divergence d’opinions, la réclusion et l’exclusion. En quittant les États-Unis ensuite en août de la même année, pour emprunter avec beaucoup d’autres, la route vers le Chemin Roxham, je fuyais encore l’intolérance, l’exclusion, la violence verbale, les risques de violence armée, le rejet institutionnel qui caractérisaient alors la présidence de Donald Trump. J’ai trouvé refuge au Canada et je vis ici en paix depuis maintenant six ans.

Mais je dois vous avouer que je commence un peu à m’inquiéter avec la tournure que prennent les débats à propos du Chemin Roxham.

Les droits des réfugiés sont les droits de l’homme !!!


Les réfugiés ne sont pas des chiffres, des données ou des statistiques. Ils ne sont surtout pas un problème. Ce sont des êtres humains, des vies humaines qui méritent d’être accueillies, intégrées et préservées !

La Terre ne peut pas être un village planétaire, uniquement lorsqu’il s’agit de flux de capitaux et d’exportation de matières premières ; et quand il est question de vies humaines, on s’interroge subitement sur leur aptitude à être accueillies, sur les éventualités de les recevoir et pire, sur la disponibilité qu’on peut leur accorder au point de leur garantir les mêmes droits.

On a fait du chemin Roxham, le carrefour de discussions politiques qui n’y avaient pas leurs places, on a grossi les traits sur la question, pour tromper l’opinion publique, et on a effacé l’aspect humain de ce phénomène malgré les cent mille vies et plus qui sont liées à ce chemin !

Comme moi, vous avez entendu dire de nous que nous étions des illégaux, pourtant nous marchions droit vers les agents de la Gendarmerie royale pour nous faire arrêter !

Comme moi, vous avez entendu dire de nous que nous venions contourner le système devant d’autres immigrés qui attendaient le traitement de leurs dossiers, pourtant nos demandes d’asiles ne sont pas traitées en urgence, et notre acceptation n’est même pas garantie.

Notre seul tort était de nous trouver sur le territoire canadien par la force des choses.

On a dit qu’en 2022, nous étions 40 000 à arriver ! Quel chiffre énorme !!! Mais, on a oublié de préciser qu’en 2020 et 2021 il n’y a eu que 7 000 demandeurs d’asile qui sont arrivés par là pendant ces deux années ; et que c’est la seule raison qui justifie ce chiffre de 40 000.

Et puisqu’à cause de la pénurie de main-d’œuvre on ne peut pas dire que nous venons voler les emplois, on dit qu’il n’y a plus de place dans les écoles et les garderies à cause de nous !

Moi personnellement, cela fait six ans que je n’ai pas vu mes enfants. Et la plupart des demandeurs d’asile ont laissé des familles derrière eux !


Ici au Canada, la protection des droits fondamentaux des réfugiés relève de la Charte canadienne des droits et libertés qui énonce que : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. »

Les droits de l’homme sont les droits des réfugiés.

Nous ne sommes pas des chiffres, nous ne sommes surtout pas un problème. Nous sommes des êtres humains. Et c’est à ce titre que nous réclamons qu’aucune distinction, fût-elle administrative, ne doive ni retarder, ni faire reculer, ni empêcher la jouissance des droits de l’homme pour un réfugié, peu importe d’où il vient. Il ne peut exister de différences dans les choix des migrants, dans le traitement de leurs requêtes, et dans leur prise en charge.

Mesdames et Messieurs, il n’y a pas de guerre plus valable qu’une autre, de catastrophe naturelle, climatique ou environnementale plus valable que l’autre. Il n’y a pas de persécutions qui sont, elles agréées, et d’autres indignes de considération.

Personne ne choisit vraiment de migrer, de quitter sa terre natale de son plein gré. Toute situation et tout contexte qui requièrent le déplacement d’un territoire à l’autre est définitivement une contrainte.

Nous ne choisissons pas de partir !

La responsabilité de l’Occident est certaine, dans l’impossibilité pour les populations du Sud de jouir de la vie, de la liberté et de la sécurité. C’est l’histoire de l’humanité qui le dit, entre explorations, colonisations, dominations, guerres économiques et géopolitiques.


Eh bien, c’est peut-être le moment de lancer un appel à réformer la Convention de Genève pour y inscrire les multiples raisons qui poussent les êtres humains à se déplacer.

Il ne suffira plus de craindre avec raison d’être persécuté, du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social, et de ses opinions politiques ; pour être éligible au statut de réfugié.

Il faut désormais considérer toute situation de misère et de pauvreté comme raison suffisante pour chercher un refuge, là où il peut s’en trouver.

Les rapports entre les pays riches et les pays appauvris, je dis bien pays appauvris; l’ordre mondial tel qu’il est appliqué, les crises environnementales créées par l’industrialisation sans freins, le néocolonialisme et les ingérences de toutes sortes qui causent des déséquilibres sociopolitiques dans les pays du Sud, etc. constituent autant de raisons pour que les populations prises dans cet étau, cherchent refuge, là où il peut s’en trouver.

La crise migratoire est mondiale. Les migrants ont toutes les raisons pour partir d’un territoire difficile vers un territoire plus propice. C’est d’ailleurs dans le fait de considérer comme une crise, le mouvement naturel de populations d’un point à l’autre qui fait qu’au lieu d’offrir des solutions à ces déplacements massifs, on préfère ériger davantage de restrictions. La migration n’est pas une crise, c’est un comportement humain.

Et comme les restrictions n’arrêtent pas les migrations, il faut s’organiser pour accueillir, encadrer puis intégrer.

L’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme dit que : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

La fraternité suppose inévitablement l’accueil véritable, l’ouverture à l’autre et la charité envers l’autre. L’exercice de la fraternité requiert de la flexibilité et de la générosité.

Si la terre est un village planétaire pour le commerce et l’exploitation des ressources naturelles, elle doit être également un habitat commun à nous tous.


Mesdames et Messieurs, je m’en voudrais de ne pas profiter de cette tribune pour poser quelques questions concernant le Chemin Roxham !

Ce chemin de toutes les histoires a été malheureusement fermé pour mettre fin aux discussions politiques qui réclamaient sa fermeture. Plusieurs voix dont la mienne, ont averti qu’il y aura d’autres chemins irréguliers qui vont s’ouvrir alors que le Chemin Roxham permettait à tous les migrants demandeurs d’asile de converger vers un chemin structuré, avec la Gendarmerie à l’accueil qui enregistrait chacun et vérifiait les antécédents judiciaires.

L’entente de fermeture actuelle prévoit, l’accueil de 15 000 demandeurs d’asile par an qui peuvent entrer par les frontières ordinaires. Qui seront ces 15 000 ? Quels seront les critères de sélection ? Nous n’en savons rien !

Qu’arrivera-t-il à tous ceux qui seront rejetés à la frontière du Canada ? Que deviendront-ils aux États-Unis ? Seront-ils laissés à la merci des passeurs qui vont les conduire par d’autres entrées autres que le chemin Roxham ?

À quels prix ? Au prix de combien de vies ?

Et tous ceux qui ont déjà traversé et qui attendent leurs permis de travail ? On parle d’un délai de plus de 24 mois. Quelle est cette vie ? Ils ont un papier brun qui sert d’identité de demandeur d’asile, avec un numéro d’identification unique, avec une photo d’identité et ce n’est pas valable pour travailler ? Pourquoi ? Quelle est la logique qui justifie qu’un document avec photo peut servir à aller à l’hôpital et ouvrir un compte en banque, mais pas pour travailler ? Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre en plus !

Et des gens souffrent, se font insulter dans les médias et les médias sociaux. On leur reproche d’accaparer l’argent du bien-être social ? Eux veulent travailler dignement ; prendre soin d’eux-mêmes et de leurs enfants dignement !

À la dépression de la traversée de ce long chemin d’exil, faut-il ajouter la dépression de vivre difficilement et de perdre le peu de dignité qui reste au bout du chemin ?


Nous faisons face à un vrai débat de société sur l’immigration, et nous avons un vrai projet de société plus inclusive et plus accueillante à construire. C’est un grand défi, mais comme civilisation nous avons les moyens de le relever. À l’ère de l’intelligence artificielle créée par l’homme, on ne peut pas me faire croire que l’intelligence humaine est incapable de créer un cadre de vie favorable à tous y compris les réfugiés. Nous avons perdu beaucoup de temps dans la vacuité des propos politiques erronés sur le Chemin Roxham. Peut-on maintenant travailler sur les conditions favorables de l’immigration au Canada ? Peut-on travailler sur l’intégration et l’implication de toute la diversité ? Peut-on agir efficacement contre le racisme, quel qu’il soit ? Systémique ou non ?

Fritznel Richard mort de froid à côté du Chemin Roxham, Les Chaudhari et les Iordache à Akwesasne morts noyés dans le Saint Laurent, parce que refusés ici par l’administration, ne trouvant pas de solution sur le sol canadien, ils ont décidé dans leur vulnérabilité, de partir aux États-Unis. Avec des enfants !! Quelle idée de refuser l’asile au parent d’un enfant canadien ?? On me dira certainement que c’est plus complexe que cela, mais quelle est cette humanité qui fait fi de la parentalité en raison d’une condition administrative ?

Mesdames et messieurs, chers amis ! En 2017, l’accueil chaleureux des gendarmes au Chemin Roxham m’a aidé à ignorer les conditions difficiles dans lesquelles j’étais détenu à Saint-Bernard-de-Lacolle ! Tout au long de mon parcours ici, les gens formidables que j’ai rencontrés dans mes multiples interactions, tous ces gens d’ici, qui ont toujours été disponibles pour moi, certains sont dans la salle ce soir, toutes ces personnes m’ont aidé à me rendre compte du vrai sens du mot RÉFUGIÉ : réfugié c’est celui qui a trouvé un abri dans sa fuite, mais c’est surtout celui qui a arrêté de fuir. De grâce, ne nous faites pas fuir à nouveau !

Si quelque part au Canada, au Québec, nous nous sommes égarés à cause de la pandémie peut-être, et que nous avons oublié qui étaient les anges gardiens au temps fort de cette pandémie, s’il vous plait il est temps de nous retrouver et de retrouver notre ardeur pour la solidarité, la générosité et la fraternité !!!

Je vous remercie. Lovejoyce Amavi

Fait à Montréal le 4 avril 2023. Journée des droits des réfugiés 2023

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